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Cormac McCarthy - Méridien de sang

Cormac McCarthy Méridien de Sang Couverture

Né en 1933, Cormac McCarthy est sans conteste l’un des auteurs américains les plus importants de sa génération. Lauréat de nombreux prix littéraires, dont le prix Pulitzer 2007, reçu pour le bestseller international La Route, il est l’auteur de dix romans, tous disponibles en Points.


« L’écriture de McCarthy est à l’image des paysages qu’il décrit : pure et rocailleuse, comme sculptée par le sable et le vent. Peu de romans ont dépeint la violence de manière aussi extrême ou aussi peu gratuite que Méridien de sang, qui nous oblige à réévaluer la façon dont nous nous accrochons à la morale dans un monde déchu. »

 

Conquête de rien

 
 

 

Méridien de sang, le cinquième roman de Cormac McCarthy, nous raconte une autre Conquête de l'Ouest. Une conquête qui ne serait pas appropriation de l'espace, mais quête d'un sens métaphysique.


Par rapport à l'histoire, le roman possède cet avantage de pouvoir faire des choix radicaux, puisqu'il existe hors des juridictions de la bonne foi, de l'exhaustivité et de la modération. Ce qui autorise l'auteur à choisir comme thème un épisode anecdotique du point de vue de l'histoire pour l'élever au rang de l'universel (c'est même là son devoir de romancier) livrant aussi une relecture de l'histoire tout entière.

 

Ainsi, dans Méridien de sang, le tropisme vers l'Ouest n'est plus avancée, progression, développement de la civilisation, mais frénésie ambulatoire, parodie grotesque de quête spirituelle - en même temps que véritable quête spirituelle, mais qui ne trouvera même pas de justification dans une fin. La fin sera, comme tout mouvement dans le livre, aléatoire, absurde, et pourtant fatale, nécessaire, inévitable, selon qu'on s'attache aux quêteurs – les hors-la-loi – ou à celui qui les accompagne pour constater leur échec et qui représente l'essence contraignante de la Loi et de l'Ordre, le Juge.


À la lecture de Méridien de sang, on se brûle à une vision alternative de l'Ouest parce que ce qui est raconté est la Conquête ténue de territoires vagues, vides, désertiques, loin de l'Ouest emblématique des riches prairies ou des mines d'or, et avant la grande période canonique des années 1865-1885. En plongeant les doigts dans ce livre, on se retrouve autour de 1850, juste après la guerre contre le Mexique qui a permis aux Etats-Unis d'annexer le Texas, la Californie et tous les Territoires situés entre les deux, et c'est dans ces déserts qui s'étendent des deux côtés de la nouvelle frontière que se déroule l'action. Espace et temps sauvages, en marge, pas encore civilisés, mais qui vont l'être hypothétiquement par les héros du livre, une troupe de réprouvés qui chassent les scalps d'Apaches pour la récompense promise, exterminateurs de sauvages plus sauvages que leurs victimes, tueurs qui finiront par assumer pleinement leur statut en massacrant tous ceux qu'ils rencontreront sur leur chemin.


En réalité, c'est l'espace lui-même qui n'apparaît pas civilisable, il est montré comme au premier jour de la création, géologique, minéral, chaotique et hostile. Des images reviennent sans cesse d'une troupe humaine progressant dans l'immensité tels des insectes promis à l'écrasement, à l'effacement ou au ravissement, comme ces voyageurs enlevés par des trombes et rejetés quelques mètres plus loin, tous les os du corps brisés, dans le calme absolu du désert.


Odyssée pitoyable, donc, en guise de conquête ; menée par des Conquistadors originels incapables de formuler de quelle Cibola de l'âme ils sont en quête, Argonautes à la limite de l'humanité, à peine individualisés dans la narration, à part l'un d'entre eux ; au bord de la résorption de l'excès dans une annihilation mutique ; et pratiquant l'excès comme seule échappatoire au néant. Le rapport à l'espace se développe lui aussi dans l'ordre de la dilapidation : il n'est jamais question de l'occuper, mais de le parcourir le plus vite possible, de mesurer la terre tout entière pour l'épuiser.


Méridien de sang ou le rougeoiement du soir dans l'Ouest : un titre de géographie charnelle exprimant au plus serré le rapport de Cormac McCarthy à l'espace et la trame de son écriture : la rigueur du géomètre, la nature implacable et fatale d'un trait tracé droit sur l'écorce terrestre en ignorance totale de ses convulsions et de ses accidents ; alliée au flot intarissable et désespérant du sang humain s'échappant des corps aléatoires des êtres du même nom, et finalement l'Ouest vu comme une fin, en accord avec l'atmosphère crépusculaire qui baigne toute la deuxième partie du livre.


La langue précise et rigoureuse arpente l'espace en excluant tout développement psychologique et en minimisant les interventions du narrateur, pour s'en tenir à des descriptions où le langage technique et la distance finissent par créer une impression lyrique ; actions et paysages composent une vision du monde, on entend une voix derrière l'apparente froideur objective ; et on se retrouve face à un monument à l'impressionnante puissance, à travers lequel ça parle de façon profondément humaine en même temps que détournée.


Car si Cormac McCarthy use d'images bibliques dévoyées et parodie plusieurs quêtes, spirituelles ou matérielles – du Graal aux Conquistadors et aux Hébreux dans le désert, il n'y a jamais de sens allégorique clair dans ses romans, ceux-ci s'en tiennent à ce qui fait la justification du genre, l'ambiguïté, l'incertitude, le décalage. Aussi bien, si on entend une voix porteuse d'interrogations métaphysiques plus ou moins audible selon les livres (elle parle le plus clair dansSuttree et dans Le Grand Passage), elle passe toujours par les moyens spécifiques du roman, qui est narration d'histoires ; et ce qu'elle perd en évidence, elle le gagne en profondeur.


Parce que Méridien de sang c'est aussi ce monument narratif, roman d'aventures où éclate une violence baroque ; mais toujours tenue par une langue au lyrisme géométrique, comme une cathédrale gothique mêle structure et élan, transcendance et gargouilles. Le livre est comme un Palais du Facteur Cheval dessiné par Frank Lloyd Wright, une forteresse qui ménagerait en elle-même un pertuis labyrinthique menant jusqu'à son coeur – sans qu'on puisse savoir si c'en est bien le coeur, où on peut effleurer des traces d'une ironie pince-sans-rire sans être jamais sûr qu'elles y soient bien, et sans qu'elles soient, en tout état de cause, assez fortes pour désamorcer le lyrisme. Il les charrie juste (peut-être) avec lui.


Alors on suit l'équipée des chasseurs de scalps dont quelques silhouettes seulement esquissées en deux ou trois traits se dégagent, d'autant plus fortes : Toadvine, le voleur de chevaux aux oreilles coupées, Tobin, l'ex-séminariste, David Brown, le tueur caractériel, Glanton, le chef et le Kid, personnage focal sinon central qui, comme d'autres adolescents de l'oeuvre de McCarthy, arpente en peu de mots un monde de violence. Seul, face à eux constamment menacés par l'indistinction, l'oubli même de la narration – on oublie de nous dire ce que fait ou voit le Kid pendant cent pages – un personnage à l'identité forte, unique, inoubliable: le Juge, géant de plus de deux mètres sans un poil sur le corps, possédant un savoir encyclopédique, aussi psychotique que n'importe lequel d'entre eux, peut-être encore plus cruel, mais affable, bavard. Contrairement aux autres, le Juge maîtrise la parole – et s'en sert pour asservir le monde, c'est là tout le problème : le silence ou l'aliénation – Les accompagnant dans leur voyage erratique, il est là pour s'assurer que rien n'en sortira. Le Juge note ou dessine les fragments du monde dans son carnet pour faire en sorte que rien n'existe sans sa permission. Il affirme que la Guerre est la seule loi de l'existence, et il fera en sorte que cela soit vérifié. La Loi et l'Ordre constatent que le chaos mène bien à l'autodestruction.


La violence atteint effectivement dans le livre des sommets paroxystiques, mais, vue comme à travers un voile d'indifférence distante, elle n'est jamais gratuite. Elle témoigne d'un mal du monde, de son absurdité. Les images se succédant composent une histoire : une histoire sauvage de l'Ouest, mais en même temps une histoire de dévoilement de la précarité humaine, une histoire d'épure : celle de l'homme lavé de lui-même, rincé, ténu, réduit à la fragilité et à la transparence, si près de l'inexistence. Alors la violence apparaît comme un moyen de maintenir la réalité humaine dans un milieu hostile, une affirmation face à la brutalité géologique du pays, un déni à son évidente mauvaise volonté à accueillir l'homme ; ce qui conduit à lire Méridien de sang comme une histoire de l'Ouest réduite à ses aspects noirs : ses horreurs de sauvages, la nature vierge ramenant l'homme vers sa brutalité originelle, mais aussi sa dimension métaphysique, forcément à pleurer au regard des questions posées – est-ce enfin la Terre Promise ? y a-t-il une transcendance ? y a-t-il un sens à l'existence humaine ? – et donc conduisant au néant.


Dans ces conditions, Méridien de sang pourrait être la chronique d'une Conquête qui se serait dissoute parce que pas à la hauteur des espérances.


Mais il y a le Juge.



17/11/2011
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